Vincent Peillon : « une grande réforme pour refonder l’école »

6 décembre 2011 | Au Parti Socialiste, Education

 

Avec Vincent Peillon sur le travail du programme Education de François Hollande

Vincent Peillon, député euro­péen (PS), est chargé de l’éducation dans l’équipe de cam­pagne de François Hollande, can­di­dat socia­liste à la pré­si­den­tielle. Il entame, ce lundi 5 décembre, une série de ren­contres avec le monde ensei­gnant. Entretien.

Si le PS revient au pou­voir en 2012, quelles seront les mesures d’urgence pour l’école ?

Il faut d’abord par­tir d’un diag­nos­tic. Le sys­tème sco­laire est confronté à des pro­blèmes struc­tu­rels : des temps sco­laires inadap­tés, qui ne favo­risent pas les appren­tis­sages, un échec sco­laire qui croît, de nom­breux élèves qui sortent du sys­tème sans qua­li­fi­ca­tion, des per­for­mances décli­nantes, des inéga­li­tés de réus­site crois­sante. Or les choix qui ont été faits ces der­nières années, au lieu de résoudre ces pro­blèmes, les ont accrus : on a divisé par trois l’accueil des jeunes enfants à la mater­nelle, on n’a pas fait les efforts néces­saires sur le taux d’encadrement au CP et en pri­maire, on a sup­primé la for­ma­tion des ensei­gnants, on a fra­gi­lisé les zones où se cumulent les plus grandes dif­fi­cul­tés… La consé­quence logique de cette œuvre de des­truc­tion, jus­ti­fiée par une approche comp­table mais sur­tout idéo­lo­gique, c’est une dégra­da­tion de la qua­lité pédagogique.

Face à cette situa­tion, nous avons un double objec­tif : cas­ser le noyau dur de l’échec sco­laire et mettre en place une réforme incluant la for­ma­tion des ensei­gnants, une remise à plat du temps sco­laire et des pro­grès concer­tés sur les méthodes et le métier. Les élec­tions ont lieu en mai, tout ne se fera pas immé­dia­te­ment. François Hollande l’a dit : les dés pipés de la ren­trée 2012 auront déjà été jetés par la droite. Il y aura quelques mesures d’urgence pour pal­lier le plus dif­fi­cile et réta­blir une confiance néces­saire. En revanche, nous pré­pa­re­rons dès l’été, en concer­ta­tion avec tous les acteurs de l’éducation, une loi de pro­gram­ma­tion qui devra être votée à l’automne.

François Hollande a annoncé, dimanche 27 novembre au Salon de l’éducation, vou­loir pas­ser « un nou­veau contrat avec l’école » en échange de « contre­par­ties ». C’est-à-dire ?

François Hollande estime que la nation tout entière doit être impli­quée dans le pro­jet de refon­da­tion de l’école, car l’école c’est la société de demain. La droite veut faire croire que l’école est un coût, alors qu’elle est un inves­tis­se­ment. Elle veut aussi faire croire qu’elle est un sys­tème clos sur lui-même, une cor­po­ra­tion, alors qu’elle est la France de demain. Cette idée est fon­da­men­tale et doit gui­der notre approche. Quant aux contre­par­ties, cela veut dire que si nous consi­dé­rons que la France n’a pas suf­fi­sam­ment investi dans son ave­nir, les moyens que nous allons mettre, sur­tout dans la période très dif­fi­cile que nous connais­sons et l’état cala­mi­teux des finances publiques que nous laisse la droite, doivent être utiles et donc s’accompagner d’une réforme du sys­tème. La réflexion est ouverte. Pour le dire autre­ment : les moyens n’ont de sens qu’au ser­vice de fina­li­tés débat­tues, cla­ri­fiées, assu­mées. Une grande réforme est néces­saire pour refon­der l’école et per­mettre à la nation de retrou­ver le che­min du progrès.

La pro­por­tion d’élèves en dif­fi­culté face à l’écrit est en aug­men­ta­tion(1) : près d’un élève sur cinq est concerné en début de 6e. Que proposez-vous pour lut­ter contre l’échec scolaire ?

Les chiffres sont très durs mais c’est une réa­lité qu’il faut regar­der en face : en 6e, 15% du public est en grande dif­fi­culté, 40% en dif­fi­culté. Ils signent l’échec d’un grand nombre d’élèves, ce qui est insup­por­table, mais aussi l’échec d’une poli­tique qui n’a cessé de jus­ti­fier ses réformes de régres­sion au nom de la lutte contre l’échec sco­laire. Le Ministre veut évaluer tout le monde tout le temps : il n’a que ce mot à la bouche. Mais les évalua­tions de sa poli­tique sont toutes très sévères : régres­sions sur tous les plans. Pour inver­ser la ten­dance, nous avons trois leviers pour agir : don­ner la prio­rité à la mater­nelle et à l’enseignement dès l’école pri­maire, avec une insis­tance sur le CP, et mener des actions spé­ci­fiques à des­ti­na­tion des élèves situés dans les zones en dif­fi­cul­tés. Cela pren­dra du temps et des moyens mais c’est fon­da­men­tal, tout comme un retour, et c’est le troi­sième levier, à la for­ma­tion ini­tiale et conti­nue des ensei­gnants pour leur don­ner les moyens péda­go­giques d’agir le plus effi­ca­ce­ment possible

 

Comment comptez-vous reva­lo­ri­ser le métier d’enseignant et enrayer la crise des voca­tions actuelles ?

Tout a été fait pour déva­lo­ri­ser ce métier. Il y a eu des attaques sans pré­cé­dent des plus hautes auto­ri­tés de l’Etat : moque­rie sur l’enseignement de La Princesse de Clèves, affir­ma­tion que l’instituteur est infé­rieur au curé ou au pas­teur pour ensei­gner le sens de la vie… A tra­vers la moque­rie du savoir ou les attaques contre la laï­cité, c’est l’école de la République qui est atteinte. Pour nous, l’éducation natio­nale est une grande ambi­tion. Vouloir le bien de l’école, c’est vou­loir le bien de la France. Les ensei­gnants pré­parent la France de demain. Ce rôle doit leur être reconnu. Il jus­ti­fie d’être valo­risé, sou­tenu, respecté.

Dès lundi (5 décembre), à la demande de François Hollande et en lien étroit avec lui, nous com­men­çons une concer­ta­tion avec tous les acteurs de l’école. Il faut ouvrir la dis­cus­sion sur tous les aspects du métier : for­ma­tion ini­tiale et conti­nue, recru­te­ment et pré­re­cru­te­ment, méthodes et condi­tions de tra­vail, mis­sions du métier, dérou­le­ment de car­rière… Il n’y aura pas de réforme contre les ensei­gnants mais cha­cun sait, les ensei­gnants les pre­miers, qu’on ne peut pas en res­ter là. Il n’y a pas de sujet tabou dès lors que nous sommes conduits par une unique ambi­tion : la réus­site de tous les élèves, et donc de notre pays. François Hollande m’a demandé d’aller au bout de la concer­ta­tion. L’enjeu est trop impor­tant pour en res­ter à des pos­tures et ne pas trou­ver en nous les res­sources pour inven­ter du neuf. C’est la feuille de route qu’il m’a don­née et, avec l’équipe qui m’entoure, nous allons l’appliquer.

Que préconisez-vous en termes de rythmes scolaires ?

Nous avons un pro­blème spé­ci­fique en France : si l’on com­pare aux autres pays de l’OCDE, les élèves tra­vaillent moins de jours par an, nota­ble­ment, mais ils ont plus d’heures dans l’année. La consé­quence est immé­diate : en ampli­tude horaire, les jour­nées sont sur­char­gées. Tous les spé­cia­listes estiment que c’est nui­sible aux appren­tis­sages des élèves et à la bonne santé des enfants. Je suis donc en faveur d’un allè­ge­ment de la jour­née de classe — ce qui ne doit pas vou­loir dire moins de temps passé chaque jour à l’école — com­pensé par un allon­ge­ment de la semaine là où elle a été ampu­tée et, pour­quoi pas, de l’année sco­laire. Nous pro­po­sons de faire cette réforme qui n’a jamais été faite, sans doute à cause de pré­ju­gés tenaces et d’intérêts puis­sants. Mais aussi parce que jusqu’ici les réformes ont trop sou­vent servi à habiller les régres­sions. Dans tous les cas, nous pren­drons nos res­pon­sa­bi­li­tés. L’école de la République est for­te­ment atta­quée; nous devons la refon­der. Mais nous n’avancerons pas mas­qués, c’est pour­quoi je parle d’une grande réforme.

François Hollande s’est engagé à recréer 60 000 postes en cinq ans. Est-ce bien rai­son­nable en période d’austérité budgétaire ?

Il s’agit de 60 000 postes en tout, incluant des postes d’enseignants mais aussi d’encadrement, de santé sco­laire, de pré­ven­tion de la vio­lence, d’accueil et d’accompagnement des publics en dif­fi­culté… C’est un très curieux débat qui tra­duit un désa­mour de la France pour l’école. On ne pour­rait pas faire pour l’école ce que l’on s’apprête à faire pour les pri­sons, ou ce que l’on a fait beau­coup plus for­te­ment pour la res­tau­ra­tion. C’est un choix de valeurs et de société. Est-il le bon, y com­pris pour la com­pé­ti­ti­vité de notre pays ? Je ne le crois pas.

Nous devrions prendre le pro­blème à l’inverse. Si l’on veut réta­blir la for­ma­tion, oui ça coû­tera des postes. Peut-on ne pas le faire ? Et l’accueil des petits à la mater­nelle ? Et les rem­pla­ce­ments ? Et l’accompagnement des han­di­ca­pés ? Il faut savoir ce qu’on veut ! Il s’agit d’un inves­tis­se­ment qui coû­tera 2,5 mil­liards d’euros en 2012, 1,9 mil­liards selon l’Institut de l’entreprise, alors que la sup­pres­sion de la TVA dans la res­tau­ra­tion coûte chaque année 3 mil­liards d’euros et que 75 mil­liards ont été dépen­sés en cadeaux fis­caux ces cinq der­nières années. Au-delà des chiffres, il s’agira sur­tout de bien uti­li­ser ces postes. On ne peut pas ne pas le faire si l’on veut amé­lio­rer nos per­for­mances glo­bales. Il faut bien com­prendre aussi qu’il s’agit en réa­lité d’économies, car l’échec sco­laire coûte très cher à la société, et d’un inves­tis­se­ment, indis­pen­sable pour pré­pa­rer l’avenir de notre pays, car les niveaux de crois­sance sont étroi­te­ment liés aux niveaux d’instruction, d’éducation et de qualification.

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